Bricol’âges en Unité d’Hébergement Renforcée : pratiques plurielles pour accueil particulier

Introduction par Carine Thieux, psychologue

L’unité d’hébergement renforcée la Séveraisse est particulière. Comme chaque institution sa création s’inscrit dans une histoire.
L’accueil de Rémy dont chacune va témoigner, se noue avec l’histoire de l’unité hébergement renforcée qui est, elle, intimement liée aux politiques publiques et aux des spécificités locales.
Rémy est entré en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes alors qu’il n’avait pas encore 60 ans. Pendant plusieurs années, il vivra avec sa mère, en ehpad.
Lors du plan « Alzheimer » du Président Sarkozy des enveloppes sont allouées pour créer des unités d’hébergement renforcées à destination des malades souffrants de la maladie d’Alzheimer et démences apparentés. Du personnel supplémentaire est alloué et l’unité est sécurisée essentiellement par le retrait des poignées aux fenêtres, la fermeture de la porte de sortie par un digicode et une clôture est installée autour du jardin.
A ce moment-là la Séveraisse devient unité d’hébergement renforcé et la question du transfert des résident vers l’établissement de l’ehpad du Drac se se pose. Il s’agit de répartir les résidents entre ceux souffrant de démence avec des troubles du comportement (répertoriés par une grille d’évaluation le NPIES) et ceux relevant d’un EHPAD.
La mère de Rémy elle est bien décidée à rester à la séveraisse avec son fils, grille NPIES ou PAS, démence ou pas. Mais comment concilier cette volonté maternelle et les politiques publiques ? Un premier bricolage est trouvé par l’équipe d’encadrement : parmi les 16 places de l’uhr deux sont désignées comme hébergement d’ehpad, elles leur seront allouées. Ouf !
Puis madame décède, non sans avoir obtenu au préalable la parole des professionnels de l’uhr de conserver à Rémy sa place dans l’ehpad. Peu de temps après les deux chambres « ehpad » perdent cette nomination pour devenir des chambre UHR.
Dans ces moments de changement de nomination de l’établissement de la Séveraisse, entre cadre légal, grille d’évaluation et histoires singulières de ceux qui y vivent, il fallait « bricoler » pour que la spécificité de cet établissement puisse survivre aux politiques de normalisations qui abrasent la clinique au profit des grilles, et ou, l’usage des grilles pourraient prendre le pas sur le désir des professionnels et des résidents. Les grilles oui mais pas sans rendre compte et s’orienter du savoir extrait de la rencontre. Le cœur du métier soignant ne réside-t-il pas dans cette spécificité de miser sur le lien qui peut advenir entre un soignant et le patient qui fait appel à lui ? Dans les institutions contemporaines faire une place à la clinique, et à la parole nécessite des aménagements.
La spécificité de l’accueil en Unité d’hébergement renforcé est sa dimension séquentielle. Ceux qui y sont hébergés doivent obtenir un score assez élevé à la grille NPIES, c’est l’outil préconisé par les politiques publiques, pour y résider. Puis une fois le score réduit, il est prévu qu’ils soient transférés en EHPAD. Dans cette logique, le risque est grand quand un résident dérange trop une des deux structures (soit qu’il ait trop de troubles du comportement dans l’ehpad, soit qu’il demande de trop grands soins de nursing en UHR) de précipiter le transfert d’un résident d’une structure à l’autre. Comment ménager un espace au lien spécifique créé avec les professionnels, et à la particularité de l’accueil de chacun ? Comment le patient peut-il s’appuyer sur le travail mené au sein de l’uhr pour parvenir à habiter un autre lieu, et tisser à nouveau un lien avec d’autres professionnels ? Comment accompagner dignement les effets de cette politique publique qui laisse parfois à penser que l’humain pourrait se réduire au chiffrage de son trouble ; que la place d’un sujet dans la communauté Humaine que représente l’institution serait suspendu à un score ?
Refusant de traiter la question d’un transfert de résident seulement à partir d’un chiffre, ou d’une observation, refusant que le déplacement d’un résident soit un passage à l’acte ; en quelques jours la décision est prise de créer une « commission d’accueil ». Elle regroupe une infirmière, l’infirmière coordinatrice, un agent hôtelier, une aide-soignante, la psychologue et le médecin coordinateur. L’enjeu est de remettre la parole au cœur du dispositif de soin et de redonner ses lettres de noblesses à la parole des professionnels.
L’accueil d’un résident ne s’inscrit plus dans le pour toujours et à jamais, la dimension séquentielle permet de laisser ouverte la question du désir , et à ce qui rend possible ou pas l’accueil d’un résident. Cela implique de remettre sans cesse au travail la question de son avenir : elle ouvre un champ des possibles.
Mais revenons à Rémy.
Fils unique, Rémy s’est rapidement trouvé à partager le quotidien de sa mère. Sa mère sentant la vieillesse approcher décide d’entrer en ehpad avec son fils avec l’idée qu’il pourrait y séjourner encore après son propre départ. Madame est une femme qui prend les choses en main, qui organise, cadre, éduque de manière assez stricte son fils. Rémy lui est un enfant dont elle dira qu’il a eu une souffrance fœtale dès la naissance. Elle s’attache à lui apprendre à lire à écrire, et a une réelle volonté éducative à son endroit. Dans le dossier médical de Rémy est indiqué que les premiers symptômes ont été repérés à 3 ans, avec un retard dans les apprentissages et surtout une difficulté dans le développement du langage. Madame dira de son fils qu’il a l’âge mental d’un enfant de trois ans. Il a connu dans son enfance une institution psychiatrique. Madame en parle comme d’un cauchemar. ; une séparation impossible pour Rémy, qui y vomissait tous ses repas. Face à ces difficultés elle a décidé de ne plus jamais se séparer de son fils. Ainsi c’est avec le désir d’accompagner son fils jusqu’au bout, qu’elle entre en ehpad avec lui, s’assurant auprès de la direction qu’il pourrait y séjourner encore après son départ. C’est elle qui rend possible l’accueil de Rémy dans l’ehpad. C’est elle qui gère les traitements, les soins d’hygiènes et poursuit l’éducation de cet homme qui, dans ses paroles, est resté une « enfant ». Peu à peu elle laisse de l’espace aux soignants, finit par accepter qu’ils aient deux chambres séparées, que Rémy puisse s’occuper de ses soins d’hygiènes avec l’aide des soignants qu’elle forme à son modèle éducatif.
A son décès madame fera graver sur sa tombe à côté de la date de son propre décès l’épitaphe de son fils, seule la date de son décès reste en attente d’être gravé. Tout est prévu ou presque….
Reste à créer un espace pour rencontrer Rémy au-delà du mode opératoire de sa mère, au-delà de protocoles préétablis. Ici, l’enjeu est de parvenir à se repérer à partir de l’usage toujours singulier que chacun fait de sa parole, et de son corps. l Prenant appui sur ce que chacun peut dire de sa rencontre avec le résident, la réunion clinique hebdomadaires vise à recueillir les inventions qui permettent au lien social de se nouer, et à assurer un accueil au un par un, respectueux des trouvailles de chacun. Pas de protocoles préétabli ni de mode d’emploi ! Telle est l’orientation du travail au sein de l’unité d’hébergement renforcé. Et cela à des effets !

Accueil, par Aline Bernard infirmière

Admis au Drac en même temps que sa maman en janvier 2005 puis à la Séveraisse un an plus tard en janvier 2006, alors considéré comme un EPAHD et non un comme UHR.
C’était sa maman qui le prenait en charge depuis toujours, sous tutelle. Sa maman étant décédée en décembre 2011, actuellement sous tutelle de l’udaf.
Il a 60 ans. Il est célibataire sans enfant.
Mr C. a un handicap moteur cérébral dû a une souffrance néonatale, lésion cérébelleuse.
Il est autonome pour sa toilette, l’élimination, l’habillage, ses déplacements dans l’institution mais a besoin d’aide à l’extérieur.
Il s’exprime en utilisant la troisième personne, arrive à se faire comprendre. Il arrive à lire les lettres et en assemble quelques une, et peut ainsi lire des textes très simples. Il arrive également à copier quelques mots. Il a une très bonne mémoire des prénoms et de certains faits qu’il aime a répété a chaque arrivée de nouvelle personne, que ce soit des faits récents ou plus anciens.
Il a de nombreux troubles du comportement et est traité par neuroleptique.
Il supporte difficilement les bruits forts, les cris d’enfants, les nouveaux personnels…
Cela engendre des automutilations à des endroits précis de son corps, têtes et doigts. Il tape sa tête très fort contre les murs ou avec ses propres poings. Les doigts, ce sont plus des plaies de frottement. Cela l’aide à surmonter une angoisse
Il a d’autres troubles du comportement à type de cris forts et d’insultes.
Il décharge sa colère parfois également sur des objets mais c’est plus rare, il peut lui arriver de jeter des objets très violement au-dessus de la palissade du jardin, feutres mais aussi chaises déjà cassées…
Il aime ranger les objets qu’il trouve dans les lieux de vie, et ne supporte pas que les choses ne soient pas bien ranger et notamment les chaises et les fauteuils, les serviettes du petit déjeuné… Tout ce qui se trouve de façon général sur les tables, les chaises… Il a besoin de faire ces rituels de rangement lorsque par exemple on lui refait ces pansements. C’est lui qui mets dans la poubelle les papiers des emballages. Si on les mets nous, il rouvre la poubelle les récupère, les repose sur le plan de travail et les jette lui même. Il a d’autres rituels par exemple si on lui donne son verre d’eau avec son traitement, il le repose toujours devant lui avant de le reprendre pour le boire, il remplit les verres d’eau des autres résidents de sa table toujours à ras bord.
Il n’aime pas marcher sur un sol mouillé ou neigeux, il peut ne pas vouloir descendre d’un véhicule car il y a de la neige. Et en général ce fait comprendre en criant cochon-curé.
Il connait le rôle que tiens chaque personne : les familles de chaque résident, les soignants et leurs domaines de compétences, les résidents avec qui il a plus ou moins d’affinités, les différentes intervenant de l’ADMR… Il a lié une amitié particulière avec un homme qui est là depuis 7 ans cette année, dans la chambre voisine où résidait auparavant sa maman. Il l’apprécie et si il est hospitalisée ou malade, Rémy nous demande de ses nouvelles régulièrement. Si cet ami est en grande difficulté, il sait venir nous chercher pour nous dire qu’il faut l’aider. Il s’aperçoit rapidement de l’absence d’un de nous, soignants ou résidents. Si c’est un soignant il nous demande si ce soignant est en vacances, et si c’est le cas il va le répéter plusieurs fois dans la journée ou dans la semaine. Il demande des nouvelles mais pas de tous et pas tout le temps plutôt de façon ponctuel, quand il y pense.
Il livre ses émotions.
Il est capable de donner des éléments qui nous montrent qu’il est en colère. Il crie « cochon curé » la plus part du temps mais cela peut être aussi « papillon blanc » ces expressions montrent son mécontentement, mais cette dernière est en ce moment moins utilisée. La façon dont il l’exprime nous donne l’intensité. Les mots « papillon blanc » montre un début d’angoisse, ou une légère angoisse, si cette expression se répète trop souvent et rapidement on sait que quelques choses ne va pas même si il ne sait pas forcement nous dire avec des mots se qui le perturbe. Remy accueille alors à sa manière chaque soignant qui lui trouve un bricolage pour lui permettre de faire face (isolement quelques minutes dans sa chambre, en salle snozélen, promenade extérieur…)
Il sait également exprimer sa tristesse. Il lui arrive de pleurer parfois plutôt les soirs mais cela arrive aussi la journée. Il ne sait pas nous expliquer toujours le pourquoi, parfois dit qu’il veut aller à lourdes (lieu où il va chaque année en pèlerinage une semaine) où à Gap selon les périodes. Il aime nous prendre dans ses bras pour réservoir un réconfort, regarde toujours notre visage pour voir si l’on accepte, il nous regarde dans les yeux et vient vers nous. Si on ouvre les bras il n’hésite pas à s’approcher de nous. Je mettais un peu de distance à mon arrivée dans l’UHR et il l’a respecté, les marques de réconfort sont venues avec le temps, ce qui n’est pas le cas de tous les soignants.
Il s’est également exprimer ses joies et ses envies, même si il sourit peu, quand il rit ou sourit c’est un rictus très court. Puis redevient rapidement sérieux ou égale à lui-même…
S’il fait les activités, les actions de la vie quotidienne c’est parce qu’il l’a décidé lui, REMY. Même si parfois il est un peu influencé par nos propositions d’activités sportives, de lecture, ateliers manuels, chants, cuisine ou autres, c’est lui qui dit si oui ou non il va le faire. Il refuse de faire les choses en changeant de lieu de vie, en allant dans sa chambre ou parfois en disant non. Il peut refuser 9 fois de faire une activité ballon par exemple et la 10eme venir vers nous. Pour d’autres activités comme le chant il viendra plutôt 9 fois et la 10ème ne voudra pas. Là aussi il sait nous cueillir par des silences pour exprimer ses désirs ou ses envies.
Mais parfois certaines de ses propres envies à lui, sont plus difficilement interprétables, captables si on ne lui accorde pas une présence, un temps. Quand on y parvient cela donne quelques choses de surprenant. Il vient à notre rencontre, c’est ce qu’il fait de ma présence qui donne un sens à ce moment.
Un jour alors que je revenais d’une longue absence (plusieurs mois), il me montra sa joie de me revoir en m’accordant un grand moment en tête à tête. Comme auparavant, je lui proposais souvent de passer un petit moment de lecture avec lui. Ce jour-là, c’est lui qui revient vers moi en me disant qu’il avait eu pour Noël, un très joli livre sur les oiseaux. Puis après un moment de passé ensemble, il me demande si Remy peut lire le livre avec Aline. Je lui réponds « bien sûr », et il se dépêche à aller chercher son livre. C’est un Remy heureux qui ouvre les pages de son livre précautionneusement et qui commence avec grande difficulté à déchiffrer chaque syllabe. Malgré la difficulté, il passa un très long moment sur le livre. Ce fut un très bel accueil aussi que Rémy m’accorda ce jour-là.

BRICOLER POUR PARLER Maryse Girard A.M.P

A mon arrivée dans l’institution, il ma été transmis un ensemble de consignes concernant l’accompagnement de Rémy, une sorte de mode d’emploi, «s’il fait ça, tu dis ça» ; «s’il dit ça, tu fais ça», les mêmes consignes avaient préalablement été transmises par la mère de Rémy.
J’étais mal à l’aise de jouer à mon tour cet autre qui saurait comme un peu tout pour lui, je ne savais comment me situer avec lui ; avec lui et l’équipe. Ca me renvoyait l’image d’un mécanisme immuable qui m’angoissait.
Rémy a immédiatement repéré que ce qui m’aidait et que je proposais d’emblée pour tenter une rencontre avec lui c’était le dessin. Je dessine des mandalas, lui propose de les colorier, et lui se met tout de suite à la place de celui qui me demande «Maryse on fait des jolis dessins»
En réunion clinique, élaborant des hypothèses ; arrive la question : «Rémy se met il en place d’objet ? »
Lors de ces séances de dessins, ou quand nous sortons faire une petite promenade, Rémy parle, toujours à la troisième personne, et ce sont des récits en ritournelle et répétitions incessantes, il fait toutes sortes d’inventaires, ou bien me déroule des histoire comme si quelqu’un parlait de lui. Il semble qu’il ait prélevé au cours du temps des mots du discours le concernant et il les répète en boucle et sans fin.
Face à ces écholalies, la montée de l’angoisse arrive de mon côté, je fais une sorte de barrage, en intercalant des questions, qu’il répète, en fait il répète exactement mon discours, mais je crois que pour supporter mon angoisse je me persuade qu’il parle avec moi, que je parle avec lui, que tout ça a du sens quoi !.
Son rapport au langage me met vraiment en difficulté, la discussion sur le mode de la conversation est réellement impossible, et je reste à vouloir qu’il parle, et lui est fondamentalement dans un rapport tout autre au langage.
J’accepte ses ritournelles et finalement je vais jusqu’à lui en faire apprendre d’autres avec les éléments de mon propre discours ! Là encore il reste l’objet ; c’est comme ça qu’il bricole pour parler ; et de mon côté je bricole en m’accrochant au sens ! Ce bricolage m’amène à des interprétations évidemment, et alors que dans une des ritournelles qu’il me répète il est question de sa maison, des groseilles dans le jardin de sa maison, je me précipite à interpréter qu’il veut me montrer sa maison, c’est d’ailleurs bientôt la saison pour cueillir des groseilles.
Nous voilà sortis de l’institution pour une promenade, Rémy va me montrer sa maison, c’est pour moi une certitude.
Rémy marche d’un bon pas, plutôt rapide, ne sachant où se trouve sa maison je trouve que ça dure un peu…nous croisons une voiture, la personne au volant salue Rémy, je prends la parole pour expliquer le but de notre promenade et alors cette personne me répond « mais vous avez déjà dépassé la maison de Rémy » je suis complètement interloquée, je me demande surtout pourquoi Rémy s’imagine que je sais tout sur lui! Au point que j’aurais dû connaître l’emplacement de sa maison !
Je lui demande alors de m’amener devant sa maison, il fait un demi tour mécanique et m’amène à l’endroit demandé, il ne dit rien, je le questionne à partir des éléments de la ritournelle «maison/ groseilles» il répète mes mots, mais ne dit rien de plus.
J’étais très mal à l’aise avec cette interprétation «pourquoi croit il que je saurais tout de lui ? » Le sens et encore le sens, j’ai interprété qu’il voulait me montrer sa maison , mais il ne m’a pas dit ça.
Ne pas trop vouloir pour lui, ne pas vouloir à sa place, ne pas trop l’encombrer me demande un drôle de bricolage aussi de mon côté.
Depuis quelques temps je vais plus du côté de la ritournelle transmise par les traditions: les vieilles chansons ou comptines, il m’en apprend et réciproquement nous faisons une sorte de petite chorégraphie, et là aussi je sais qu’il a vu chez moi ce goût pour la danse et peut-être se fait-il là encore objet ?
Avec les comptines au moins, je ne suis plus tentée d’interpréter Rémy.
Je m’aperçois plus souvent des moments où il bricole différemment avec le langage, par exemple il réussit souvent à dire « non » lorsque je lui fais une proposition, il vient très souvent ensuite pour accepter, mais il y a eu ce temps du « non ».
Et enfin, je remarque les rares occasions où il dit « je » c’est lorsque je ne lui demande rien.
Deux exemples : il revient d’un atelier dessins à Gap où il se rend rituellement, je regarde ses productions et m’exclame « oh il y a de belles couleurs » il me dit « j’ai fait des mains » je comprend qu’il a utilisé ses mains comme contour de son dessin puis qu’il a peint.
Régulièrement il peut adresser « ce matin j’ai bricolé » ce qui signifie « je me suis masturbé »
Il a surement prélevé dans le discours maternel ce mot utilisé avec ce sens là, donc pour parler de ce qu’il fait avec son corps il dit « je ».
Rémy adresse ses récits à la troisième personne, bricolés à partir des éléments de langage prélevés dans le discours, il ne parle pas vraiment tout seul, car il les adresse.
Interroger Rémy ne fonctionne pas, soit c’est le silence, soit il répète la phrase.
Faire un commentaire l’encombrerait par le sens que j’y mettrais et que lui ne met pas; rester silencieuse me semble insupportable et pour lui et pour moi car ce serait nier qu’il tente de parler alors j’ essaie de ne répéter que ce qu’il m’adresse, une sorte d’écho mais ce n’est pas longtemps supportable, c’est mortifère et angoissant.
J’ai besoin d’air, j’étouffe, alors je répète en ajoutant une nuance, maintenant j’essaie un autre chemin que celui du sens, j’essaie de bricoler avec la sonorité . Il adresse, je marque la réception, on bricole, toujours sur le fil. Encore des jeux d’adresse !!

Rémy, Bricol’âge en UHR

(Pratiques plurielles pour un accueil particulier)

La nature des liens qui se construisent entre les personnes en situation de souffrance et celles qui les accueilles…

Bricoler en institution avec un résident, rien qu’en me le disant je me sens tout de suite hors cadre professionnel, pourtant en y pensant bien c’est ce que je fais au quotidien, notamment dans ma relation soignant/soigné que j’entretiens avec Rémy, je bricole sans cesse… Je bricole sur des protocoles que je finis par aménager et finalement transformer. Je bricole sur demande car c’est Rémy qui me le permet, j’invente une activité, un petit rien à construire, quelque chose à découper, à coller ou à colorier. On bricole au sens propre, on fait des petits travaux mais je bricole aussi au figuré…

Entretenir, réparer un lien, un état par exemple quand Rémy me dit « il ne pleurera plus Rémy, il ne se tapera plus la tête », je cherche des petits riens, des petites phrases, qui peuvent l’encourager, le réconforter en lui disant par exemple : »allez mon remy c’est bien il faut continuer comme ça ou bien ça ma fait tellement plaisir que tu ne te tape plus la tête ». Quand il pleure ou qu’il crie, j’essaye juste d’imaginer pour réparer ce moment, lui proposer d’aller contempler le plafond étoilé de la salle Snozelen, de me parler de ce qu’on fera à Noël ou bien à Pâques car Remy a pour habitude de fabriquer des décorations pour ces fêtes et aime citer sous forme de rituels qu’il fera le sapin,les guirlandes,de beaux dessins…. Je prends les petits riens que j’ai sous la main dans ces moments là. J’essaye d’aménager et de créer de manière bien sommaire un lieu ou un état d’apaisement.

Avec Rémy on bricole très souvent , mais, quand je bricole c’est avec ce qu’il veut bien me donner, il m’apporte des outils et je fais le menuisier. Je ne peux malgré tout ce que l’on peut apprendre en théorie, rester détaché, et même si je sens que derrière l’utilisation de la 3ème personne, de ne jamais utiliser le « JE » en disant Remy a la place, peuvent se cacher bien d’autres choses derrière le fait que Rémy utilise fréquemment le «on» m’implique systématiquement, 2 personnes pour faire 1 seul ouvrier.

Pour le coup, mes limites personnelles sont bien posées car on se marcherait dessus, ayant aussi la volonté de respecter la sienne loin de tous protocoles bien instaurés, de soins, de conformisme institutionnel, je me retrouve lié. Malgré des phrases toutes faites, quand il me les dits, c’est bien à moi qu’il s’adresse, «on y va», «on va faire le lit… ». Mais il me pose la limite de son intimité, car il ne m’autorise pas vraiment a rentrer dans son JE a lui, donc je bricole tout de même pour pouvoir le comprendre terme bricoler me plaît aussi pour Rémy car par ce «ON» je ne fais que l’effleurer je n’ai pas la sensation de trop m’immiscer, j’ai la sensation quand je vois vois remy d’un être avec un corps solide (Dont il essaye de casser la carapace en se tapant si souvent) mais avec un intérieur bien fragile, alors une parole ou une tape dans les mains semblent suffirent pour pouvoir un peu si je puis-je dire le rapiécer… Le « ON » m’est alors offert, une belle opportunité alors on bricole , on fabrique Ensemble.

Parfois il me fait bricoler de manière à me donner aussi ma place bien à moi. Notre relation, un côté singulier qu’il n’arrive pas à m’expliquer bien que.

L’autre soir, Rémy me demande de ranger sa chambre, je lui dis que demain s’en faute on s’en occuperai, cette phrase m’a valu deux gros baisers sur la joue, qui désolée m’ont touché… Le lendemain en arrivant, une collègue m’apprend qu’il m’attend avec impatience, je lui dis bonjour et que je n’avais pas oublié ce que l’on devait faire, j’ai juste, à cet instant, quand j’ai vu son sourire et ses yeux qui pétillaient, que j’avais peutêtre bricolé un petit sentiment, il me demande alors de le suivre et me montre un tas de dessin et plein d’objets, de multiples bricoles issues de différents bricolages qu’il avait fait avec d’autres collègues. J’ai réalisé à ce moment là que ce grand bric-à-brac c’était ce que faisait Rémy, un amoncellement de bricolages. Chaque choses qui me semblaient insignifiantes au début ont ainsi prises pour moi de l’importance car c’était lui, à chaque objet c’était une personne, un fait, un sentiment apaisé, alors je n’ai voulu qu’effleurer encore pour ne pas l’ébranler. J’ai rangé sans rangé pour répondre à sa demande mais j’ai surtout ménager son «JE» qu’il m’a finalement exprimer ici dans cette chambre. En lui présentant quelques dessins par exemple, il me demanda de les mettre tous dans un même carton puis, je lui ai proposé de mettre ce carton en haut de son placard, chose qu’il a accepté, nous avons rangé sa chambre ainsi et je me suis permise pour voir un peu, de mettre dans un un sac des choses qu’ il pouvait jeter ,juste quelques petites choses,petites pour moi mais tellement importantes pour lui me semblait il, Rémy a tout de même jeté un dessin et une vielle noix, en voyant cela je me dis qu’il serait intéressant de continuer a ranger cette chambre,mais une autre fois, une jolie étape était déjà franchit aujourd’hui, alors avec son accord je lui proposa de ranger tout le bric a brac qu’il avait derrière la télé une prochaine fois,ce qu’il accepta volontiers.

Il m’a permis de comprendre qui est Rémy pour moi, comment je le percevais et pourquoi je bricolais avec des pointillés, avec ce qu’il m’a donné comme outils, par nos bricolages et à travers ma propre perception, mes propres sentiments.

Le ON est pour moi aussi une barrière, je bricole aussi avec moi-même, je ne veux pas que mes petits bricolages lui rajoute quelque chose de trop, peut être que le fait de savoir aussi que sa maman, la religion et les institutions précédemment fréquentées lui ont déjà posé bien assez de protocoles, de rituels, de règles…Bien que…..En ayant rangé cette chambre je me suis aperçue que Rémy pouvait prendre MA pierre pour la rajouter a SON édifice.

Du coup, comment bricoler, comment trouver la petite chose à rajouter sans ébranler tout cet assemblage. Et bien peut être qu’aujourd’hui en écrivant ce texte je me rends compte qu’il me suffit pour ma part de lui proposer une chose ou une autre et le laisser la rajouter a son grand bric a brac et me confirme que même en essayant de rester professionnel je n’arrive qu’a interpréter au travers de mes propres sentiments. (J’ai bien peur qu’il n’y ait pas de grilles a cocher pour cela)

Peut être que cette façon de bricoler peut fonctionner dans d’autres situations ? Lui proposer sans lui imposer… Lui faire confiance aussi sur ce qu’il en fait. Je ne veux pas avec Rémy construire ou rénover, mais juste bricoler des petits riens à lui laisser.

(« il est des petites choses que l’on laisse derrière soi,des moments de vie ancrés dans la poussière du temps. On peut tenter de les ignorer, mais ces petits riens mis bout a boutforment une chaîne qui vous raccroche au passé. ») MARC LEVY